samedi 31 décembre 2011

Juste à temps !


C'est juste à temps que j'ai relevé, en 2011, le Défi XVIIIe que j'avais contribué à lancer.

Je l'ai relevé avec les billets suivants, tous relatifs à l'année 1781, thème que je m'étais fixé :



Je n'ai pas fait l'effort de mobiliser des contributeurs d'horizons différents, et c'est donc avec peu de participants que s'achève cette année de Défi. Néanmoins, cela ne me fait pas baisser les bras pour autant. Le Défi XVIIIe sera donc un défi permanent, sans limite de date. Et s'il étiole au point que personne n'y contribuera, j'en tirerai le constat sans amertume et le rideau tombera.

D'ici là, recevez mes meilleurs vœux pour cette année 2012 désormais très proche !

Brisons les chaînes

C’est en 1781 qu’un pasteur suisse, le Dr Schwartz publie, à Neuchâtel, le court livre Réflexions sur l’Esclavage des Nègres. Une dénonciation de l’esclavage, qui démonte les arguments des esclavagistes sur les plans humaniste, juridique, économique et culturel.
Il est étonnant que ce bon Monsieur Joachim Schwartz, pasteur du Saint-Évangile à Bienne et membre de la Société économique de B*** d’après le livre, ne fasse pas partie, au regard de la portée forte de ce texte, de la galerie des antiesclavagistes à laquelle les oreilles du grand-public ont pu être éduquées.


Les connaisseurs de la langue de Goethe auront peut-être souri en lisant le nom dudit pasteur. Le Dr Schwartz ? Le Docteur Noir, voulez-vous dire ? Ah, je comprends mieux !
Derrière l’ironie de ce pseudonyme, c’est en effet Nicolas de Condorcet qui a tenu la plume de ces Réflexions, texte majeur sur la route vers l’abolition de l’esclavage.




Un peu plus d’un siècle plus tôt, Le Code noir, ou Édit du Roy servant de règlement pour le gouvernement et l’administration de justice et la police des isles françoises de l’Amérique, et pour la discipline et le commerce des nègres et esclaves dans ledit pays, formalisait les règles infâmantes de la traite des esclaves et privait les esclaves de toute personnalité civile et juridique, faisant d’eux de simples biens mobiliers (peu glorieuse année, cet an 1685, qui voit à la fois l’édiction du Code noir et la révocation de l’édit de Nantes...). Les plus cyniques voyaient dans ce Code un moyen de protéger les esclaves de l’arbitraire absolu qui prévalait jusque-là ; de quoi rendre acceptable l’inacceptable. Un Code qui aura la vie longue, puisqu’il durera jusqu’en 1785, après divers remaniements qui en renforceront la portée...


Au Siècle des Lumières s’affrontent partisans et adversaires de l’esclavage, et même les philosophes « éclairés » avaient, sur ce sujet, des positions contrastées. Parmi les antiesclavagistes, certains s’attaquent à l’esclavage par l’ironie, comme Montesquieu, en 1748, dans De l’esprit des loix (sic), ou Voltaire, dans un des épisodes de Candide ou l’Optimisme (1759) ; d’autres abordent le sujet sous l’angle du droit de nature, de l’esprit de la religion, ou encore de l’économie, comme le chevalier de Jaucourt dans les articles « Esclavage » et « Traite des Nègres » de l’Encyclopédie, ou de la vie en société, comme Jean-Jacques Rousseau, dans Du Contrat social (1762) ; d’autres encore mettent en scène des personnages dont l’un défend l’esclavage et l’autre en réfute les arguments ; ainsi l’abbé Raynal dans L’histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes (1770).

Et en 1781, c’est donc le Dr Schwartz, alias Marie-Jean-Antoine Nicolas Caritat, marquis de Condorcet, homme de sciences et de philosophie qui publie ses Réflexions sur l’esclavage des Nègres (première édition à Neuchâtel ; édition revue et corrigée à Paris, 1788). Le ton est donné dès l’épître dédicatoire aux esclaves : « Mes amis, quoique je ne sois pas de la même couleur que vous, je vous ai toujours regardés comme mes frères. »


La publication de la première et, surtout, de la deuxième édition a provoqué des élans dans les deux camps, pro- et anti-esclavage. Aux élans de la Société des Amis des Noirs, abolitionniste, répond l’intense lobbying du Club de l’hôtel de Massiac, du nom de la résidence parisienne de l’autoproclamé marquis de Massiac où se réunit une société rassemblant plusieurs dizaines, puis plusieurs centaines de colons des Antilles farouches partisans du maintien de l’esclavage.
Pour mémoire, après une première abolition par la Convention nationale en 1794, l’esclavage est rétabli en 1802, avant d’être définitivement aboli en avril 1848.

Cet ouvrage de Condorcet, texte pionnier et – fait rare jusque-là, entièrement consacré au sujet de l’esclave – est de ceux qui nous amène à regarder le monde différemment, à bousculer nos certitudes, nos préjugés, à sortir de la facilité, à éveiller notre conscience de nous-mêmes et des autres. Il y a encore tant de progrès à faire que bousculer les consciences est un effort salutaire de tous les jours.

* * * * *

Un peu de lecture
Un exemple d’édition des Réflexions sur l’esclavage des Nègres, de Condorcet (éditions Flammarion, collection GF Philosophie, 2009, ISBN 978-2081220010).



En complément, les lecteurs curieux pourront se tourner vers les Réflexions sur la traite et l’esclavage des Nègres, d’Ottobah Cugoano (Thoughts and Sentiments on the Evil and Wicked Traffic of the Slavery and Commerce of the Human Species, Humbly Submitted to the Inhabitants of Great-Britain, by Ottobah Cugoano, a Native of Africa , 1787 ; 1788 pour la traduction française), et vers The Interesting Narrative of the Life of Olaudah Equiano, or Gustavus Vassa, the African (1789), deux des premiers ouvrages militant pour l’abolitionnisme écrits par des anciens esclaves.

Des éditions sont disponibles en français ; par exemple :
Ottobah Cugoano, Réflexions sur la traite et l’esclavage des nègres (éditions Zones, 2009, ISBN 2-355-22017-4).

Olaudah Equiano, Ma véridique histoire (éditions Mercure de France, coll. Le temps retrouvé, 2008, ISBN 978-2715228580).


* * * * *

L’amiral Satan

Pierre André de Suffren de Saint-Tropez n’est pas un des ineffables gendarmes qui ont fait les choux gras d’un certain cinéma français. Né dans une famille noble provençale, Suffren monte les échelons tant dans la marine royale (jusqu’au grade de vice-amiral) que dans l’ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem (il en deviendra le bailli).


Le duc de Choiseul, dans les années 1760, entreprend, entre autres tâches, la modernisation de la marine royale, dont il pressent qu’elle peut être un atout pour prendre, un jour, une revanche sur l’Angleterre, après la désastreuse défaite française dans la guerre de Sept Ans.
Suffren, lui, sert en Méditerranée, notamment contre les pirates et corsaires de Salé, ou, en congé de la marine française, sur les galères de Malte. Puis vient le temps de la guerre américaine, sous les ordres de l’amiral d’Estaing, sans résultat vraiment décisif.

C’est l’année 1781 qui marque le tournant pour Suffren, qui se voit confier le commandement d’une division de 6 vaisseaux. Oh, alors que la guerre d’indépendance américaine bat son plein, la mission de Suffren peut sembler anecdotique, puisqu’elle doit le mener bien loin du terrain d’opération majeur : appareillant de Brest en avril 1781, il doit aller écarter la menace de la Royal Navy de la colonie hollandaise du Cap, au sud de l’Afrique, avant de se rendre dans l’océan Indien pour y jouer un rôle encore mal défini.
En route vers le Cap, Suffren surprend le 16 avril 1781, au mouillage à Porto Praya dans l’archipel du Cap-Vert, une flotte anglaise de navires marchands accompagnés de vaisseaux de guerre. Après une violente canonnade, il ne peut toutefois pas remporter une victoire décisive, et poursuit son chemin. Au Cap, la population hollandaise se révèle plus anglophile que francophile, mais Suffren arrive à éloigner les navires de l’amiral Johnstone, cette même escadre qu’il avait en partie étrillée à Porto Praya.


Après son arrivée à Madras, en février 1782, il prend son service sous les ordres de l’amiral Thomas d’Orves, qui a le bon goût de trépasser peu après, laissant donc le commandement en chef à Suffren. Celui-ci va, jusqu’à la fin de 1783, mener un jeu de chat et de souris avec les forces anglaises de l’amiral Edward Hugues. Leur « duel » verra des batailles tant navales que terrestres, certaines sanglantes, la plupart indécises, aucun des deux n’arrivant à anéantir son adversaire (Suffren étant, en cela, particulièrement desservi par des crises avec ses subordonnés).


L’Histoire retiendra pourtant que cette épopée du bailli de Suffren aux Indes a été l’un des moments les plus glorieux de la marine française de cette fin du temps des Lumières. Même les Anglais, pourtant avares de compliments sur les marins français de cette époque-là, voient en lui un grand amiral, qu’ils ont même surnommé « l’amiral Satan ».
Malgré la défaite en Amérique du Nord, le sous-continent indien restera aux mains des Anglais. Et Suffren, rentré en France, mourra quelques années plus tard, perclus d’obésité et de dettes.

* * * * *

vendredi 30 décembre 2011

Du haut-bois à Uranus

Autant le dire d’emblée : avant de fureter ici et là à la recherche de sujets sur le thème « 1781 » pour relever mon propre défi dix-huitiémiste, je n’avais aucune idée de qui était William Herschel. N’étant pas passionné d’astronomie, je n’avais pas croisé sa route jusqu’à aujourd’hui. Et un article de Peter Millman, The Herschel Dynasty. Part I – William Herschel, dans le Journal of the Royal Astronomical Society of Canada, (Vol. 74, p. 134, 1980) m’a fait découvrir un personnage étonnant, passé, au fil de sa vie, du joueur de hautbois au sein du régiment des Hanoverian Foot Guards (régiment de gardes à pied de George, électeur de Hanovre et incidemment roi d’Angleterre) au brillant astronome président de la Royal Astronomical Society, en passant par le compositeur d’une musique aujourd’hui peu connue du grand public.


N’étant pas vraiment familier du monde de l’astronomie, j’ai un peu de mal à comprendre qu’une personne soit reconnue comme le « découvreur » d’un corps céleste alors que celui-ci a déjà été observé dans des temps précédents. Le mot « découvreur » a probablement un sens particulier dans cette confrérie-là ; peut-être le premier à l’avoir « bien » décrite dans ses caractéristiques, son orbite, etc ?
Toujours est-il que William Herschel a « découvert » la planète Uranus en mars 1781. Ce corps céleste avait déjà été observé par d’autres astronomes, mais ceux-ci s’étaient fourvoyés sur sa nature, comme John Flamsteed qui, en 1690, l’avait prise pour une étoile de la constellation du Taureau.
Et même si Pierre Charles Le Monnier l’a observée à plusieurs reprises entre 1750 et 1769, W. Herschel en est le découvreur officiel. Uranus, qu’il avait proposé de baptiser Georgium Sidus (l’étoile de George), lui valu donc d’être récompensé, en novembre 1781, de la médaille Copley, une des plus prestigieuses et des plus anciennes récompenses remises par la Royal Society de Londres, et de venir membre de cette Society le mois suivant. Et la configuration de notre système solaire passait alors de 6 planètes à 7, un changement majeure pour l’époque : toute une conception du cosmos était à revoir !


Peut-être me faudra-t-il donc demander à quelque astronome amateur de me faire regarder Uranus dans un télescope, tout en écoutant une symphonie de Herschel (il en a composé pas moins de 24 !).


Peut-être mon esprit s’ouvrira-t-il alors à cette cosmologie musicale ? Je doute d’en arriver à tomber dans la « théologie naturelle » dont Herschel et d’autres savants et musiciens, comme Haydn, étaient les chantres. Mais ciel et musique peuvent nous ouvrir à une spiritualité et une métaphysique non religieuses, alors pourquoi s’en priver ?

Comme un petit goût de revanche ?

La rivalité de longue date des Français avec leurs voisins d’outre-Manche leur fait souvent apprécier les occasions où les Anglais se font secouer. Alors, ils applaudissent aussi bien la bataille de Patay qu’un grand chelem en ovalie dont le dernier match fait manger la pelouse de Twickenham. C’est ainsi que le siège de Yorktown, en septembre et octobre 1781, prend parfois un p’tit goût de revanche. Ah, Messieurs les Anglais, vous nous aviez pris la Nouvelle-France en 1763 ? Souffrez donc que nous vous boutions, à notre tour, hors de vos colonies d’Amérique du Nord !

La Virginie avait été, dès le début de la guerre d’indépendance américaine, le théâtre de mouvements de troupes, de raids. Aux yeux de la couronne anglaise, ce territoire, avec ses terres fertiles, ses voies d’eau navigables, son tabac échangé en Europe contre des armes et des vêtements, ses élevages de chevaux, et même son éloignement des principaux théâtres d’opération de ce conflit, en faisaient une base vitale pour l’effort de guerre américain.

Les Anglais s’étaient félicités de la prise de Charleston, dont le siège s’était déroulé de mars à mai 1780. Le général Sir Henry Clinton, commandant en chef des troupes anglaises en Amérique du Nord depuis mai 1778, était porté par l’idée que la pacification de cette Amérique du Nord pouvait se baser sur l’établissement d’une chaîne de positions fortifiées autour de bases navales côtières, à partir desquelles des raids pourraient être menés jusqu’au cœur du territoire insurgé. Son subordonné, Charles Cornwallis, ne partage pas du tout la vision stratégique de Clinton, et préfère envisager des troupes mobiles plutôt que ces bases d’appui. Une telle stratégie avait une limite : elle ne pouvait tenir sur la durée que pour autant que l’Angleterre conserverait la suprématie sur les mers. Au regard des succès de la Royal Navy à cette époque-là, présupposer que cette suprématie allait de soi n’était pas tout à fait un péché d’orgueil de la part de Clinton…
Mais c’est la stratégie de Clinton qui l’emporte lorsqu’une base navale est créée à Yorktown, sur la baie de Chesapeake. De là, Clinton veut menacer les colonies centrales, et même frapper Philadelphie avec l’aide de l’armée qui descendrait de New York.





Mais la campagne de Virginie, en 1781, oblige Cornwallis à se réfugier dans Yorktown, pour offrir à ses troupes (environ 8,000 hommes) un abri, du repos, des vivres, et un répit contre la malaria. Assiégés par des troupes américaines sous le commandement de George Washington (environ 9.000 hommes) et des troupes françaises du comte de Rochambeau (environ 9.000 hommes aussi), et coupés de toute aide par voie maritime par l’escadre du comte de Grasse (avec notamment 28 vaisseaux de ligne), Yorktown et les 8.000 hommes de Cornwallis résisteront trois semaines avant de se rendre.


Même si la guerre d’indépendance devait durer encore jusqu’en 1783, la chute de Yorktown était le coup qui allait entraîner, pour l’Angleterre, la perte de ses colonies d’Amérique.


Alors, pensez donc, une telle victoire contre les Anglais, grâce à des troupes françaises et après qu’une escadre française avait tenu en échec la Royal Navy, ça vaut bien un petit billet, non ?

* * * * * *

Pour plus de détail sur ce siège, les lecteurs curieux se reporteront par exemple au livre Yorktown (1781). - La France offre l'indépendance à l'Amérique, de Raymond Bourgerie et Pierre Lesouef
(éditions Economica, collection Campagnes & stratégies, 1992, ISBN 978 2717822816).


Les lecteurs anglophones qui apprécient les synthèses bien illustrées se reporteront à l’ouvrage Yorktown 1781. The World Turned Upside Down, de Brendan Morrissey (texte) et Adam Hook (illustrations) (éditions Osprey, série Campaign, n°47,  1997, ISBN 978 1855326880).

Il l'a fait !



Félicitation à Thomas B., qui a relevé le Défi XVIIIe en 2011 (contrairement à l'hôte du Défi...) !

Thomas B. a relevé le Défi XVIIIe avec les billets suivants :


Ne manquez pas, par ailleurs, d'aller visiter son nouveau blog, qui regroupe ses différentes passions.



Lettres Persanes

 

Les Lettres Persanes fait partie de ces livres phares des programmes scolaires parce que «Montesquieu c’est important». C’est annonciateur de L’Esprit des Lois, fondation-de-notre-république-moderne tout ça. L’Esprit des Lois étant le livre de chevet de vrais modèles de probité politique comme Alain Juppé, ça en dit long sur la puissance de la plume.
Comme son nom l’indique, les Lettres Persanes est un roman épistolaire, on suit donc Usbek et Rica, deux Persans en goguette à travers l’Europe (surtout Paris et Venise), qui écrivent pour disserter sur les différences entre les sociétés, les religions, se donner des nouvelles et gérer leur harem à distance.
Comme vous avez du l’entendre en cours de français, Montesquieu utilise le masque d’une Perse de pacotille (c’est un bon gros mashup avec la Turquie quand même) pour de se moquer de la France de l’époque. En celà j’étais un peu dépaysé car on parle bien de la Régence, avec notamment beaucoup de références au système de Law, et peu de mon pote Louis XV. En utilisant le masque de l’Islam, Montesquieu critique les religions, et tout le monde en prend pour son grade. J’ai bien conscience que vu la censure de l’époque c’est déjà pas mal, mais entre Molière pour le plus connu et l’abbé Meslier pour le plus underground, honnêtement ce n’est pas la première fois qu’on satirisait du cureton et je suis un peu resté sur ma faim.
D’un point de vue strictement «technique du roman», on est loin de la virtuosité des Liaisons dangereuses de Laclos. Globalement j’ai trouvé ces Lettres plutôt longuettes, entre grosses digressions sur des fables pas très fines et interrogations philosophiques qui sentent un peu le réchauffé pour l’homme du XXIe siècle. La fin du roman est autrement plus captivante car le rythme s’accélère avec des missives plus courtes, plus nerveuses, plus violentes. Les problèmes d’autorité pour maintenir l’ordre au harem empirent et s’achèvent sur une véritable apocalypse domestique. Ici pas de descriptions crues dont se serait réjouit un Sade, mais une sobriété qui permet quand même au lecteur moderne d’imaginer un bain de sang tarantino-hongkongesque entre eunuques sabres au clair et mort de courtisanes à la chaîne.
Ce qui m’a le plus touché est le côté Les Caractères de La Bruyère: l’analyse lucide des travers du genre humain, des comportements de toutes catégories de personnes, que ce soit les vieux, les femmes ou les bavards. C’est à la fois une exemple fascinant pour analyser des sociétés passées mais aussi voir les constantes, les portraits toujours valables à notre époque.
Ce billet clôt ma participation aux Défi XVIIIe, qui consistait à rédiger 5 articles ayant pour thème le XVIIIe siècle avant la fin 2011. Vous avez eu droit à des travestis japonais virtuoses de la guitare électrique, deux mini-séries anglaises, du GN international et ce bon gros classique bien de chez nous. Le prochain défi sera 100% littéraire, mais que les allergiques aux chemises à jabots se rassurent, on fera dans le contemporain plus accessible. En attendant de rencontrer ces nouveaux maîtres, je vous quitte donc avec l’homme d’esprit.
Lettre 145
Usbek à***.
Un homme d’esprit est ordinairement difficile dans les sociétés; il choisit peu de personnes; il s’ennuie avec tout ce grand nombre de gens qu’il lui plaît appeler mauvaise compagnie; il est impossible qu’il ne fasse un peu sentir son dégoût: autant d’ennemis. Sûr de plaire quand il voudra, il néglige très souvent de le faire.
Il est porté à la critique, parce qu’il voit plus de choses qu’un autre et les sent mieux. Il ruine presque toujours sa fortune, parce que son esprit lui fournit pour cela un plus grande nombre de moyens. Il échoue dans ses entreprises, parce qu’il hasarde beaucoup. Sa vue, qui se porte toujours loin, lui fait voir des objets qui sont à de trop grandes distances. Sans compter que, dans la naissance d’un projet, il est moins frappé des difficultés, qui viennent de la chose, que des remèdes qui sont de lui, et qu’il tire de son propre fonds. Il néglige les menus détails, dont dépend cependant la réussite de presque toutes les grandes affaires.
L’homme médiocre, au contraire, cherche à tirer parti de tout: il sent bien qu’il n’a rien à perdre en négligences. L’approbation universelle est plus ordinairement pour l’homme médiocre. On est charmé de donner à celui-ci, on est enchanté d’ôter à celui-là. Pendant que l’envie fond sur l’un, et qu’on ne lui pardonne rien, on supplée tout en faveur de l’autre: la vanité se déclare pour lui.

Le GN XVIIIe où on ne l’attend pas

Comme expliqué en d’autres lieux, les jeux de rôle grandeur nature (GN) ayant pour cadre le XVIIIe siècle sont rares. Pourtant, par dessein ou hasard, les accros à la poudre de perruque ou de mousquet peuvent tout à fait trouver leur méthadone dans l’offre GNistique actuelle.

Jack c’pourrave
Sans doute liée au succès des films Pirates des Caraïbes, la présence du pirate en GN ces dernières années ne s’est pas faite sans quelques bavures. Le problème se pose surtout pour les GN médiévaux-fantastiques: le pirate XVIIIe standard fait souvent tache dans un univers qui ne dépasse par la Renaissance en terme de niveau technologique. Ces jeux incluant souvent de la magie ou des êtres fantastiques, on parle bien de look et d’ambiance ici, pas de réalisme, mais l’épisode de la web-série parodique GN de merde ci-dessous décrit bien le problème (à 3:03).

Les pirates sont également présents au plus grand GN du monde, Conquest of Mythodea mais ils sont intégrés dans l’univers de jeu «médiéval fantastique et plus si affinités» au look très hollywoodien. Ils y sont sobrement appelés «Marins» et bénéficient d’un campement spécifique, associé à la ville. Dans les côtés positifs, cela donne un faux bateau très sympa,





de nombreuses jeunes filles en corset

et des compagnons de taverne tout droit sortis d’un film d’aventure.
Les revers de la médaille incluent des chants battus et rebattus, et des clones cosplay de Jack Sparrow, fort justement surnommés “Jack c’pourrave” par les membres du Club Misanthropie.

Et à part les pirates?
La liberté de look intrinsèque à Mythodea permet aux fans du XVIIIe allergiques aux pirates d’essayer leurs costumes préférés et tenter des expériences de jeu différentes. Ainsi la joueuse ci-dessous a organisé une petite tea party en plein milieu d’un carrefour de la ville.
L’année précédente, mon personnage de nobliau reconverti dans le mercenariat portait deux costumes d’inspiration XVIIIe, un de jour pour les batailles (cuir et armes multiples) et un de nuit, pour des activités plus détendues,



 dont des tentatives d’hommage à Barry Lyndon à l’appareil photo numérique.
Plus près de nous, le GN Pour une poignée de salopards II, dont j’ai parlé précédemment, englobait plus franchement le XVIIIe dans son époque historique fictive.
Des gardes en armure de plaque aux truands en chapeau melon, le mélange était un grand écart, mais globalement fonctionnait plutôt bien. J’ai ouï dire que le prochain se démédiévaliserait pour se concentrer sur l’interface XVIIIe-XIXe.

Les XVIIIe où on ne l’attend pas
Ce “XVIIIe comme passé plutôt que comme futur d’un univers” a joué à fond lors de L’exposition extraordinare d’Aven, le premier GN steampunk de Suisse romande. Une des originalités de ce jeu a été d’inclure plusieurs nations fictives aux looks historiques marqués mais non limités aux traditionnels haut-de-formes & crinolines. Cela permettait non seulement de typer rapidement les factions, mais donnait plus de flexibilité aux joueurs pour se costumer et m’a permi d’explorer le concept de tricorne steampunk. Plus de détails sur ce jeu et mes bricolages plus tard.
Dans un genre complètement différent, le huis clos expérimental Light in world mettait en scène des personnages de contes de fées dans notre monde actuel. En bon monomaniaque, j’ai décidé de ressortir le costume porté au Liaisons Dangereuses car il se prêtait bien à une interprétation très «Walt Disney» de la Bête. Comme quoi on peut rentabiliser un costume acheté il y a six ans tout en respectant le thème du jeu et son personnage.

Mais le record de surprise XVIIIe restera le sens de l’initiative de Marco et Shiva, deux joueurs du GN Shadowrun organisé par Le Four Fantastique en 2008. Comme tout bon univers cyberpunk, celui-ci de Shadowrun est futuriste, sombre et technologique. Même si la présence d’elfes, nains etc entraîne quelques excentricités, j’avais écrit leurs personnages sans y mettre une once de tricorne. Mais les personnage jouant des nobles elfes, ils semblerait que la noblesse ait instantanément évoqué le siècle de Louis XV. Marco avait quelques scrupules à sortir la chemise à jabot mais je l’ai rassuré en lui envoyant une illustration officielle du jeu confirmant qu’il pouvait se lâcher niveau textile.
Le mélange flingues infra-rouges, oreilles pointues et clins d’œil XVIIIe était détonnant, un des beaux cadeaux que des joueurs m’aient offert. Lausanne, 2068: la force du siècle des Lumières dans la Suisse des Ombres!

Casarocka

Note: this post is part of the Défi XVIIIe, a blogging challenge to write 5 posts about 18th-century related topics within a year. It said nothing about the language the posts had to be in, so there!

Pour les francophones: tous les articles dont le sujet est en anglais seront dorénavant écrits dans cette langue.

 

Casanova is a BBC mini-series from 2005, starring Peter O’Toole and David Tennant, better known to geeks around the world as the Tenth Doctor. Rather than an historically accurate rendition of Histoire de ma vie (which is already laden with lies anyway), these three episodes are a very free, very rock ‘n’ roll adaptation trying to convey the flamboyant spirit of the character. If you already know Giacomo Casanova’s life, surprises will obviously be limited, and from the escape from the Leads of Venice to Damiens’ atrocious execution, the plot is a crazy remix of the famous traveler’s “greatest hits”.
Costume are sometimes a bit of an eyesore, especially in the first episode, and more reminiscent of 1960s French swashbuckling movies than of other modern takes on the Enlightenment such as Plunkett & McLeane or Brotherhood of the Wolf. The BBC obviously couldn’t afford too many extras, but did land some pretty awesome locations. It’s always a pleasure to see Dubrovnik on the screen, especially when it is smartly reused like this.
Overall, from the score to dance moves to general acting style, I really enjoyed the blatantly anachronistic choices, culminating in a dressing scene in the opening credits straight out of Saint Seya.


However, the series tone is not fully humorous and does get more somber towards the end, as the love story with Henriette gets more heart-wrenching and friends are lost. Peter O’Toole moves from bantering old man to lover in pain and David Tennant shows he can switch from overactive social butterfly to dead serious expert on mid-life crisis. My favorite scenes in this phase notably include the following lines:
Giacomo Casanova: Men I understand. I know what men think about, all day long. Those stupid little inches, driving you mad every waking hour. I know exactly what’s going on in your head. Is it big? Is it big enough? Is it hard enough, will it work every time on demand; cause that’s the only thing, that is the only bastard question – am I any good in bed? Is every other man better than me? Is every other man bigger and faster and slower and longer and deeper and harder – what am I doing wrong? How do I find out, cause no one ever talks about it, no one ever says. How can I ever find out what I’m doing wrong?
The combination of mood swings and anachronisms did make me reach a point of overdose in the Naples scene. While I found the references to both the Sadean and fascist components of Salò, or the 120 Days of Sodom interesting, I must admit that the visual kei -inspired looks where a tad too much for me at this point.  On a similar note, BBC’s Casanova must have been one more thing that inspired the horrid Mozart, l’opéra rock (for more on this topic check out my previous post).
So all in all, a very entertaining mini-series, not for the historically faint of heart but rather one more proof that raping history can produce beautiful offspring.

mercredi 21 septembre 2011

Les condés des Lumières - Part 1: Police and Thieves

J’ouvre ce premier article sur le traitement cinématographique* des pandores au XVIIIe par un titre en hommage à Junior Murvin, le Farinelli du reggae**. Quoi de mieux en effet qu’un morceau critiquant la violence des criminels et des forces de l’ordre pour évoquer City of Vice, une mini-série anglaise riche en pistolets, perruques poudrées, petites pépées et policiers.




Dès qu’il s’agit de rosser les cognes, tout le monde se réconcilie
Ces 5 épisodes narrent la manière dont les magistrats Henry et John Fielding (le premier auteur de Tom Jones) crééent les Bow Street Runners, une proto police londonnienne en 1749. Sans doute pour ne pas trop perdre un chaland habitué au format des séries américaines contemporaines, on tente ici aussi de résoudre une affaire par épisode, avec enquête, poursuite, interrogatoire et résolution avant le générique. Mais le propos va plus loin. L’opposition -parfois musclée- à l’initiative des Fielding ne vient pas seulement des malfaiteurs (maquereaux pédophiles, gangs de braqueurs tortionnaires etc) mais aussi d’éminents membres de la chambre des Lords, qui hurlent au gaspillage d’argent public et à l’atteinte aux libertés individuelles. Et ce côté “on essuie les plâtres” est une des grandes forces de la série. Les Bow Street Runners n’arrivent pas en terrain conquis, s’interrogent sur la meilleure d’aborder une scène de crime, peinent à obtenir des informations... et donc vont parfois jusqu’à la torture. Certains y verront un attachement à la réalité historique, d’autres une opération séduction envers un jeune public plus élevé à 24 ou The Shield qu’à Navarro. Une chose est sûre: dans City of Vice, pas de chevaliers blancs mais de nombreuses nuances de gris sale.

Channel 4 n’a pas d'argent, mais elle a des idées
La série n’est pas exempte de défauts, le principal étant un budget manifestement limité. Mais là où la production française des aventures de Nicolas Le Floch (on en reparlera) tente à tout prix de “faire riche”, City of Vice compense son manque de moyens en redoublant de créativité. Impossible de se payer des plans larges en image de synthèse détaillant le Londres du XVIIIe? Soit, la caméra se déplace donc sur un plan historique de la ville, en noir et blanc, qui passe en 3D quand on plonge au niveau de la rue. Le plan-relief numérique, il fallait y penser! Pas d’argent pour louer ou reconstituer un salon d’époque? Soit, les intérieurs seront peu éclairés et filmés en plan rapproché, accentuant le côté sombre et étouffant des scènes de violence.
Tout n’est pas que noirceur, l’humour est présent et les acteurs ont parfois tendance à cabotiner, comme Ian Mc Darmid (le sénateur Palpatine pour les fans de Star Wars) en chef vieillissant, sûr de son bon droit et légèrement porté sur la bouteille. Le traitement des personnages secondaires est un peu léger et tous les membres de l'équipe auraient bénéficié de plus de développement dans des épisodes supplémentaires, afin de ne pas les limiter à leur roles de -très efficaces- “gueules” ou de clichés.

Je ne sais pas si l’audience a été au rendez-vous en 2008, et City of Vice n’est plus édité, mais ce DVD en VO non sous-titrée est toujours disponible en import sur Amazon. Si comme moi vous aimez les histoires de flics en tricornes qui ne lorgnent pas du côté de Fanfan la Tulipe, cédez à la tentation.



* oui plutôt télévisuel, mais je n’allais pas me priver d’une référence de plus dans le titre
** oui, c’était du falsetto, pas un castrat. Et oui, vous connaissez sans doute une version des Clash. Qui n’est pas mauvaise d’ailleurs, mais bon, un peu de licence bloggesque, que diable!

mercredi 16 mars 2011

T'as le look rococo, Coco t'as le look



ou



Trente ans d'influence XVIIIe dans les musiques populaires




Préface du rédacteur

Que le jeu de mot laid du titre sonne comme un avertissement au lecteur: cet billet contient des oeuvres d'un goût plus que douteux, qu'il soit musical ou vestimentaire. Dixhuitièmistes sourcilleux passez votre chemin, je ne saurai être tenu responsable de vos crises cardiaques. Les historiens du rock et du kitsch me pardonneront également la subjectivité de l'ensemble et son point de départ tardif. Oui, j'ai entendu parler de Jimi Hendrix ou Mick Jagger et sais que le mélange d'instruments modernes et de chemises à jabot ne date pas d'hier. Pour satisfaire -ou faire fuire- les plus baby boomers d'entre vous, je me permettrai donc une petite reprise de Bach au synthétizeur analogique par Wendy (à l'époque Walter) Carlos. Interrogations sur le genre, musique électronique, costume flamboyant: les bases sont posées.











Rockers dépités, classicistes courageux ne désespérez pas: si par malheur quelques kraftwerkophiles à grosses montures, fétichistes du Moog se sentiraient encore en terrain connu, l'extrait suivant devrait achever d'insulter tout le monde.



Au début des années 80


Je me souviens de soirées, passées non pas dans des boîtes où l'on dansait le mia, mais devant Champs-Elysées et autres émissions de variétés à paillettes. Un invité régulier était Rondo Veneziano, sorte d'orchestre de chambre avec guitare et batterie en perruques poudrées sur la soupe. Alors oui, aujourd'hui on en rigole. On se demande pourquoi Rondo Veneziano n'assumait pas jusqu'au bout, pourquoi les instruments modernes étaient complètement sous-exploités et surtout pourquoi le maestro Gian Piero Reverberi ne se mettait pas lui aussi en culotte et bas blancs. On en viendrait même à le considérer comme le père spirituel d'André Rieu. Mais avec toute la ringardise et le playback qui caractérisaient ces performances, il faut reconnaître que, pour beaucoup, Rondo Veneziano a été un premier contact avec la musique "classique", les chemises à jabot et plus globalement le mélange des genres.





Mylène Farmer

Pour ma génération, le plus grand choc lié à ce mélange vient sans doute des clips de Mylène Farmer, plus particulièrement le mythique diptyque Libertine - Pourvu qu'elles soient douces. De gros moyens pour éviter la pacotille des rondeaux vénitiens et un format court-métrage inhabituel: le duo Boutonnat - Farmer rend un véritable hommage au Barry Lyndon de Kubrick. Musicalement, pas de tentative de "faire XVIIIe" pour coller aux images: on assume complètement le son pop des années 80. Violente mais diablement efficace, cette juxtaposition se retrouvera à chaque décennie suivante au cinéma avec Plunkett & McLeane de Jake Scott (1999) et le Marie-Antoinette de Sofia Coppola (2006). Plus que leur époque, ces clips ont durablement marqué la perception du siècle des Lumières dans l'inconscient collectif français: quand Christophe Gans, le réalisateur du Pacte des Loups cherchait l'hommage à divers réalisateurs, ses acteurs, sans doute plus lucides, ont confessé avoir eu l'impression de se trouver sur le tournage de Libertine.








J'ai une tendresse particulière pour Pourvu qu'elles soient douces car, passés les synthés si caractéristiques, c'est un des rares succès français mettant en valeur le scratch. Cinq ans après le pionnier Rockit de Herbie Hancock, 4 ans après l'heure de gloire du H.I.P.H.O.P. de Sidney, Pourvu qu'elles soient douces constitue un passage de témoin (certes un peu capillotracté) entre la mode du smurf et les décennies qui marqueront l'avènement du hip-hop français.








Bien sûr, au delà de la réalisation des clips et de l'efficacité des morceaux, il faut appeler un chat un chat et reconnaître que ces disques se sont vendus parce qu'ils parlaient de sexe. Mylène Farmer avait déjà pratiqué la confusion des genres et tenté un petit name dropping XVIIIe dans Sans contrefaçon ("un mouchoir au creux du pantalon je suis chevalier d'Eon"). L'exploration de l'androgynie et de la bisexualité continue, en y ajoutant les fessées qu'affectionnait tant Rousseau et une sodomie pas si Sadienne que ça. La recette est vieille comme le monde, mais une certaine idée du XVIIIe permet d'émoustiller le chaland avec classe. C'est ce qu'a compris, à l'échelle internationale, une autre interprète féminine de renom.





En 1990 c'est la démocratisation

Outre une habitude des clips érotiques, Madonna partage avec Mylène Farmer la faveur d'un public homosexuel masculin. Ce lien privilégié permet de récupérer les dernières tendances pour les convertir en succès commerciaux. En témoigne le recyclage du voguing, une danse de boîtes gay new-yorkaises, en un des plus grand tubes de la chanteuse américaine. Au cours des MTV Music Awards de 1990, elle rend à César ce qui est à César, dans un festival de nez poudrés et de shorts moulants.








Les véritables experts en histoire des musiques nocturnes homosexuelles m'objecterons que l'utilisation d'éventails et la modernisation de costumes XVIIIe vient en fait d'Europe, plus particulièrement d'Espagne avec le groupe Locomia. Parti d'un phénomène vestimentaire et chorégraphique, Locomia a  utilisé la musique comme support pour un véritable défilé de mode. Les morceaux hispanophiles des 80s françaises (Manolo Monelete de Vanessa Paradis, Marcia Baila des Rita Mistouko etc) semblent bien timorés face à cette orgie textile. Épaulettes démesurées, cuissardes-poulaines que ne renierait pas Francis Lalanne, et un jeu d'éventail digne des plus grands maîtres du nunchaku: Locomia a mis la barre très haut.





Presque simultanément, à l'autre bout de l'Europe, d'autres artistes dance apportent les codes queer au grand public. Army of Lovers, trio Suédois aux concerts en playback assumé, connaît un succès international avec Crucified. Il y en a pour tout le monde: velus ou pigeonants, les décolletés sont profonds et les trois membres du groupe doivent écluser d'importants stocks d'eye liner, de manchettes en dentelle et de bas blancs.




Army Of Lovers - Crucified par val6210





Côté français, l'équation XVIIIe = fête + homosexualité + mode se retrouve dans le générique du Double Jeu de Thierry Ardisson. On savait l'animateur royaliste, fan de poudre et de chandeliers Louis XV. La musique est certes un remix de la Donna e mobile de Verdi (donc XIXe), mais il y a de la danse, de la fesse des deux sexes et de la mouche, donc on prend!
retrouver ce média sur www.ina.fr




Détour par les terres du Duc de Boulogne

Peu de rappeurs se sont aventurés dans le XVIIIe, les thématiques évoquées plus haut ne collant pas vraiment avec les traditions avouées du hip-hop. Il faudra donc chercher du côté des hédonistes iconoclastes pour retrouver l'imagerie qui nous intéresse.



En 1998, Doc Gynéco ouvre la voie avec Liaisons Dangereuses, un album-compilation caractérisé par ses duos parfois improbables (dont un très oubliable avec Bernard Tapie). Guillotine sur la couverture, lettrage à la plume, interludes appelés "Menuet", mais surtout quelques belles photos de main noires et de gorges blanches entourées de dentelles. On pourrait se lâcher à des évocations du Chevalier Saint-George, mais l'exégèse à ses limites.






Plus anecdotique mais plus original musicalement, on retrouvera un clin d'œil enperruqué aux clichés précieux et décadents dans Soyons sales du groupe lyonnais Les Gourmets.

Les Gourmets - Soyons sales par gourmetsrecordingz





Le véritable hommage au XVIIIe dans le rap français se situe chez Cuizinier. A travers ses mixtapes Pour les filles, le rappeur du groupe TTC s'épanche sur ses envies d'ascension sociale et de fortune, prêt à tout pour atteindre le pouvoir et les femmes. Un vrai Barry Lyndon du XXIe siècle, et le compositeur DJ Orgasmic ne s'y est pas trompé. Il découpe la sarabande de la mythique Suite n°4 pour Clavecin en mi mineur de Haendel, popularisée par le film de Kubrick et nous fait sauter sur sa musique (NdR: pas de clip).








On retrouve une utilisation moins talentueuse de la Sarabande sur un disque autrement plus grand public: l'album T'as vu de Fatal Bazooka. L'humour ras-des-pâquerettes de Michael Youn ne plaira pas à tout le monde, mais Chienne de vie est un pastiche magistral du rap larmoyant dont certains Marseillais se sont fait une spécialité (NdR: clip amateur).








Des francophones fans de nippons francophiles

En 2011, il faut se tourner vers le Japon pour retrouver les héritiers actuels des flamboyances vestimentaires de Locomia ou Army of Lovers. C'est en assistant à ma première convention de culture japonaise que j'ai découvert le visual kei. Sans grande homogénéité ni originalité musicales, les groupes de ce mouvement visuel marquent parfois un attachement pour une certaine forme de culture française. Les tignasses en épi des héros de manga se combinent alors avec des chemises à jabot, ces groupes se nomment Lareine, Versailles ou incorporent des "Je t'aime" dans leurs textes. En France, le visual kei est à la mode, et en regardant les coiffures de certains personnages de l'étron scénique que constitue Mozart, l'Opéra Rock, on se dit que la mondialisation favorise des aller-retours pas toujours très heureux.



Le visual kei dixhuitièmiste n'est pas nouveau: l'extrait suivant date de 1998, lors de la tournée Merveilles de Malice Mizer. A noter qu'il ne s'agit pas d'une comédie musicale mais d'un concert "normal" du groupe, qui fournit un étonnant résumé-potpourri à cet billet déjà trop long. Clavecin électronique, bassiste en tricorne, batteur en bicorne, des castagnettes, du playback et du travestissement: tout y est!








Si comme moi vous êtes allergique aux chanteurs sirupeux qui vous rappellent les génériques de dessins animés, quittons nous avec un instrumental. Du métal symphonique, des Chevaliers d'Éon muets qui auraient troqué leurs rapières pour des guitares et nous donnent quelques beaux solos sonnant comme le Parisienne Walkways de Gary Moore. Versailles me permet même de terminer comme j'ai commencé: je vous souhaite donc, après un tel déluge sonore, une Silent Knight.



Participant - Thomas B.

Je suis passionné par le XVIIIe depuis une quinzaine d'années. Si j'en apprécie les idées, la mode et la langue, ce sont les aspects sombres du siècle des Lumières qui m'intéressent le plus : espionnage, criminalité, ésotérisme etc.

Le XVIIIe est aussi un de mes univers préférés pour la création ludique, qu'elle soit littéraire, épistolaire ou grandeur nature. Dans ce domaine, je n'ai aucune volonté de reconstitution fidèle: comme disait Dumas, "on peut violer l'histoire pourvu qu'on lui fasse de beaux enfants".

J'ai découvert le défi XVIIIe grâce un lien sur le journal de Monsieur de C., que je lis régulièrement, et j'espère qu'il prendra mon premier billet "musical" comme un clin d'œil au sien.

* * * * *

Mon blog et mon message de participation au Défi.


* * * * *

Thomas B. a relevé le Défi XVIIIe avec les billets suivants :

lundi 24 janvier 2011

Idoménée ou Mozart se libère

participant : Monsieur de C


J’ouvre ma participation au Défi XVIIIe avec le premier billet d’une série de cinq qui auront pour point commun l’année 1781. Pourquoi cette année-là plutôt qu’une autre ? Parce que j’avais envie en tête de consacrer un billet à l’épopée navale de Suffren aux Indes et à la bataille de Yorktown, l’un des tournants de la guerre d’indépendance des États-Unis, deux moments de l’année 1781. Il me restait à trouver trois autres sujets sur l’année 1781 pour fixer mon objectif pour le Défi. J’avais envie d’explorer d’autres pans dix-huitiméistes à cette occasion, par exemple dans le domaine des sciences et celui de la musique.

Or je viens de lire un dossier sur les opéras de Mozart dans le dernier numéro en date de la revue Diapason (n°587, janvier 20100). Et cela m’a amené à m’intéresser à Idomeneo, rè di Creta (Idomenée, roi de Crète), un opéra que je n’avais jamais écouté jusque-là, et dont il se trouve que la première a été donnée en janvier 1781, alors que Mozart avait vingt-cinq ans (et deux jours, pour les amateurs de précision !).


Bon, autant le dire, je n’avais pas vraiment de souvenir du mythe d’Idoménée, et il m’a fallu remettre le nez dans un livre pour me rafraîchir la mémoire : une tragique histoire d’un père obligé de tuer son fils pour tenir une promesse faite à un dieu en échange de son aide. En revanche, je me rappelais que cet opéra s’était retrouvé sous les feux de l’actualité lorsque ses représentations au théâtre de l’Opéra de Berlin avaient été annulées du fait de menaces ; mais je reconnais que je n’avais pas fouillé le sujet à l’époque, et n’en avais donc gardé que des éléments très superficiels.
Vérification faite, cette suspension des représentations, en septembre 2006, avait été décidée après des menaces de fondamentalistes religieux, jugeant outrageante la mise en scène de cet opéra par Hans Neuenfels. Celui-ci avait en effet inclus dans sa mise en scène les têtes coupées de Poséidon (le dieu dont Idoménée est le débiteur), de Bouddha, de Mahomet et de Jésus-Christ.
Je ne connais rien de cet Hans Neuenfels, et je ne me permettrai donc pas beaucoup de commentaires sur sa mise en scène de cet opéra que je n’ai pas vue. Je me contenterai de dire que mettre sur dans le même plat de têtes coupées celles d’un dieu, de deux prophètes, et d’un « éveillé », c’est un drôle de mélange des genres, et j’ai du mal à en comprendre le message : s’il s’agit de tuer des dieux pour s’en libérer, alors autant décapiter des dieux, et pas des prophètes.
Je ne suis pas friand des metteurs en scène qui tiennent absolument à tout bousculer d’une œuvre, pour la rendre contemporaine, ou intemporelle ; certains y réussissent très bien, d’autres n’aboutissent qu’à quelque chose d’artificiel qui fait perdre l’essence de l'œuvre originelle. Mais, d’un autre côté, je tiens en profonde détestation les sectateurs de toutes religions, et leurs menaces de censeurs.

Mais revenons-en à l’opéra lui-même. Je n’ai aucune la prétention de m’en faire une idée rien qu’en lisant la partition et le livret. Je m’en remets donc, pour aller à la découverte de cette œuvre, à l’écoute d’un enregistrement et de quelques lectures au sujet de cet opéra, dont le numéro de la revue Diapason que j’ai indiqué plus haut.

Pour ce que j’en ai lu, Idomeneo , pièce de commande pour le carnaval de Munich, marque la charnière entre les opéras « de jeunesse » de Mozart, et la série de ses chefs-d’œuvre : les deux opéras « sérieux », Idoménée et L’enlèvement au sérail, puis les trois comédies, Les noces de Figaro, Don Giovanni, et Cosi fan tutte, et enfin les deux autres opéras « sérieux », La clémence de Titus et La flûte enchantée. C’est aussi après Idoménée que Mozart quitte Salzbourg pour Vienne, son père et l’archevêque pour l’empereur ; c’est peut-être de la philosophie de comptoir, mais je me laisse aller à penser que Mozart a peut-être trouvé dans cet Idomeneo un écho au changement de sa propre situation. Mozart se libère des murs de la famille, secoue le joug de ce protecteur-tyran qu’était l’archevêque, et prend en main la création de l’opéra, ferraillant avec l’auteur du livret, Giambattista Varesco (à défaut d’affronter directement l’archevêque, Mozart s’en prend au chapelain de sa cour ?), pour ne pas se laisser imposer ses vues.

Opéra de commande, certes, mais œuvre personnelle ! Mozart trace son propre chemin, entre les lignes de l’opera seria à l’italienne et de la tragédie lyrique à la française, apportant un souffle particulier. Évidemment, c’est tragique, dramatique, et donc, parfois, un peu pompeux pour moi, qui préfère les ambiances plus légères. Mais c’est tout de même déjà du Mozart.


Il va me falloir plusieurs écoutes de cet opéra pour en découvrir les richesses, les subtilités, m’en faire une opinion plus élaborée. Tendre l’oreille, aussi, vers des interprétations différentes, pour découvrir comment différents chefs, différents chanteurs, différents orchestres se le sont approprié.
Pour l’instant, j’ai fait confiance à des critiques trouvées dans des magazines et sur le net, pour mes premières écoutes :
- la version sous la direction de Nikolaus Harnoncourt, enregistrée en 1980 pour Tedec, et que j’ai écoutée dans une réédition de 2005 chez Warner Classics ;
- celle sous la direction de René Jacobs, chez harmonia mundi , 2009, HMC902036.38



Je laisserai tomber le rideau sur cet Idomeneo de Mozart en levant un autre rideau, pour dévoiler l’écran où se projette le Barry Lyndon (1975) de Stanley Kubrick. En effet, si l’on retient le plus souvent, dans la partie musicale de ce film, l’entêtante Sarabande de Haendel, c’est bien la Marche de cet Idomoneo qui accompagne l’entrée de Redmond Barry dans le grand monde.


* * * * *

Éclairage complémentaire : Avec Mozart, un parcours à travers ses grands opéras, de Claire Coleman et Fernando Ortega (éditions Lethielleux, 2010, ISBN 978-2-249-62055-3).




* * * * *
Pour le complément dix-huitiméiste, je signale que ce mythe d’Idoménée a également inspiré :
- Idoménée, tragédie en cinq actes et en vers de Crébillon père (1705) ;
- Idoménée, tragédie en musique d'André Campra sur un livret d'Antoine Danchet (1712).

* * * * *

Participante – Emeralda

Sur la Toile depuis plus de 15 ans, on m'y connait sous le pseudo d'Emeralda (pas Esmeralda, ce s en moins, j'y tiens !). Je suis historienne de formation et le XVIII ème a toujours attiré mon regard.
J'ai débuté avec un site intégralement porté sur "Versailles No Bara" plus connu en France sous le titre de "Lady Oscar". Une intrigue se déroulant justement au XVIII ème siècle. Le site est à ce jour en refonte totale.
Ensuite, je suis devenue moins active (bien que toujours présente) jusqu'à ce que je mette à bloguer. Une véritable passion, mais mon repère principal est "Espace temps libre", mon blog littéraire : http://espace-temps-libre.blogspot.com/ . J'y parle de mes coups de coeur, de mes découvertes, de ma passion pour la lecture qui ne m'a jamais quitté depuis mon plus jeune âge.

Curieuse de tout, ne me fixant jamais de limite à la découverte, participer à ce défi était comme une évidence. Il me permet de lire, de (re)découvrir des ouvrages, des films, des œuvres sur une période historique qui a toujours eu ma préférence.


* * * * *

Mon blog et mon message de participation au Défi.

samedi 22 janvier 2011

Participant - Monsieur de C

 
Puisque j’ai le plaisir d’avoir lancé ce Défi XVIIIe en collaboration avec les administrateurs du forum La Folie XVIIIe, autant que j’aie l'amabilité de dire quelques mots de présentation.

Je ne saurais pas dire exactement quand j’ai attrapé le virus du XVIIIe siècle, mais je peux à tout le moins avancer que ce n’était pas une passion d’enfance. C’est probablement venu peu à peu, avec les lectures de BD comme Les passagers du Vent de Bourgeon d’abord, puis Giacomo C. de Griffo et Dufaux. La rencontre, par mes lectures, avec des personnages aussi divers que Beaumarchais, le chevalier d'Éon, ou Élisabeth Vigée Le Brun, puis la (re)découverte, hors obligations scolaires, des littérateurs et philosophes des Lumières, et, je dois le dire, la grande élégance, à mes yeux, du costume masculin des années 1750-1780 m’ont définitivement plongé dans ce bain.
Je partage mes coups de cœur et mes coups de gueule sur divers sujets liés au XVIIIe siècle dans mon blog Chez Monsieur de C., et je traîne mes guêtres dans divers forums comme La Folie XVIIIe, Passion Histoire, Parfum de livres ou, plus récemment, A travers les mots.
Je compte relever le Défi XVIIIe sous des formes thématiques, par exemple « l’année 1781 » ou « Venise » (clin d'œil à Casanova oblige).

* * * * *

Défi relevé sur le thème "1781" :
* * * * *

mercredi 19 janvier 2011

Les logos du Défi XVIIIe

 
Afin que les participants au Défi XVIIIe puissent signaler, dans leurs blogs respectifs et les forums qu’ils fréquentent, l’existence de ce défi et les billets qu’ils publient dans ce cadre, voici deux images pouvant servir de logos.
Le bandeau, construit à partir d’un extrait du tableau Un déjeuner de chasse (1737) de Jean-François de Troy, essaie de se faire l’écho de la convivialité dans laquelle le Défi XVIIIe vise à faire se croiser les amateurs du XVIIIe siècle de tous horizons.



Le portrait, Jeune dessinateur taillant son crayon (1737) de Jean Baptiste Siméon Chardin, a été choisi parce que ce dessinateur présente une apparence qui peut être interprétée comme masculine autant que féminine, et pourra donc représenter un participant au Défi aussi bien qu’une participante.




Les participants sont libres de récupérer ces deux images pour s’en servir dans leurs espaces respectifs.