samedi 31 décembre 2011

Juste à temps !


C'est juste à temps que j'ai relevé, en 2011, le Défi XVIIIe que j'avais contribué à lancer.

Je l'ai relevé avec les billets suivants, tous relatifs à l'année 1781, thème que je m'étais fixé :



Je n'ai pas fait l'effort de mobiliser des contributeurs d'horizons différents, et c'est donc avec peu de participants que s'achève cette année de Défi. Néanmoins, cela ne me fait pas baisser les bras pour autant. Le Défi XVIIIe sera donc un défi permanent, sans limite de date. Et s'il étiole au point que personne n'y contribuera, j'en tirerai le constat sans amertume et le rideau tombera.

D'ici là, recevez mes meilleurs vœux pour cette année 2012 désormais très proche !

Brisons les chaînes

C’est en 1781 qu’un pasteur suisse, le Dr Schwartz publie, à Neuchâtel, le court livre Réflexions sur l’Esclavage des Nègres. Une dénonciation de l’esclavage, qui démonte les arguments des esclavagistes sur les plans humaniste, juridique, économique et culturel.
Il est étonnant que ce bon Monsieur Joachim Schwartz, pasteur du Saint-Évangile à Bienne et membre de la Société économique de B*** d’après le livre, ne fasse pas partie, au regard de la portée forte de ce texte, de la galerie des antiesclavagistes à laquelle les oreilles du grand-public ont pu être éduquées.


Les connaisseurs de la langue de Goethe auront peut-être souri en lisant le nom dudit pasteur. Le Dr Schwartz ? Le Docteur Noir, voulez-vous dire ? Ah, je comprends mieux !
Derrière l’ironie de ce pseudonyme, c’est en effet Nicolas de Condorcet qui a tenu la plume de ces Réflexions, texte majeur sur la route vers l’abolition de l’esclavage.




Un peu plus d’un siècle plus tôt, Le Code noir, ou Édit du Roy servant de règlement pour le gouvernement et l’administration de justice et la police des isles françoises de l’Amérique, et pour la discipline et le commerce des nègres et esclaves dans ledit pays, formalisait les règles infâmantes de la traite des esclaves et privait les esclaves de toute personnalité civile et juridique, faisant d’eux de simples biens mobiliers (peu glorieuse année, cet an 1685, qui voit à la fois l’édiction du Code noir et la révocation de l’édit de Nantes...). Les plus cyniques voyaient dans ce Code un moyen de protéger les esclaves de l’arbitraire absolu qui prévalait jusque-là ; de quoi rendre acceptable l’inacceptable. Un Code qui aura la vie longue, puisqu’il durera jusqu’en 1785, après divers remaniements qui en renforceront la portée...


Au Siècle des Lumières s’affrontent partisans et adversaires de l’esclavage, et même les philosophes « éclairés » avaient, sur ce sujet, des positions contrastées. Parmi les antiesclavagistes, certains s’attaquent à l’esclavage par l’ironie, comme Montesquieu, en 1748, dans De l’esprit des loix (sic), ou Voltaire, dans un des épisodes de Candide ou l’Optimisme (1759) ; d’autres abordent le sujet sous l’angle du droit de nature, de l’esprit de la religion, ou encore de l’économie, comme le chevalier de Jaucourt dans les articles « Esclavage » et « Traite des Nègres » de l’Encyclopédie, ou de la vie en société, comme Jean-Jacques Rousseau, dans Du Contrat social (1762) ; d’autres encore mettent en scène des personnages dont l’un défend l’esclavage et l’autre en réfute les arguments ; ainsi l’abbé Raynal dans L’histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes (1770).

Et en 1781, c’est donc le Dr Schwartz, alias Marie-Jean-Antoine Nicolas Caritat, marquis de Condorcet, homme de sciences et de philosophie qui publie ses Réflexions sur l’esclavage des Nègres (première édition à Neuchâtel ; édition revue et corrigée à Paris, 1788). Le ton est donné dès l’épître dédicatoire aux esclaves : « Mes amis, quoique je ne sois pas de la même couleur que vous, je vous ai toujours regardés comme mes frères. »


La publication de la première et, surtout, de la deuxième édition a provoqué des élans dans les deux camps, pro- et anti-esclavage. Aux élans de la Société des Amis des Noirs, abolitionniste, répond l’intense lobbying du Club de l’hôtel de Massiac, du nom de la résidence parisienne de l’autoproclamé marquis de Massiac où se réunit une société rassemblant plusieurs dizaines, puis plusieurs centaines de colons des Antilles farouches partisans du maintien de l’esclavage.
Pour mémoire, après une première abolition par la Convention nationale en 1794, l’esclavage est rétabli en 1802, avant d’être définitivement aboli en avril 1848.

Cet ouvrage de Condorcet, texte pionnier et – fait rare jusque-là, entièrement consacré au sujet de l’esclave – est de ceux qui nous amène à regarder le monde différemment, à bousculer nos certitudes, nos préjugés, à sortir de la facilité, à éveiller notre conscience de nous-mêmes et des autres. Il y a encore tant de progrès à faire que bousculer les consciences est un effort salutaire de tous les jours.

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Un peu de lecture
Un exemple d’édition des Réflexions sur l’esclavage des Nègres, de Condorcet (éditions Flammarion, collection GF Philosophie, 2009, ISBN 978-2081220010).



En complément, les lecteurs curieux pourront se tourner vers les Réflexions sur la traite et l’esclavage des Nègres, d’Ottobah Cugoano (Thoughts and Sentiments on the Evil and Wicked Traffic of the Slavery and Commerce of the Human Species, Humbly Submitted to the Inhabitants of Great-Britain, by Ottobah Cugoano, a Native of Africa , 1787 ; 1788 pour la traduction française), et vers The Interesting Narrative of the Life of Olaudah Equiano, or Gustavus Vassa, the African (1789), deux des premiers ouvrages militant pour l’abolitionnisme écrits par des anciens esclaves.

Des éditions sont disponibles en français ; par exemple :
Ottobah Cugoano, Réflexions sur la traite et l’esclavage des nègres (éditions Zones, 2009, ISBN 2-355-22017-4).

Olaudah Equiano, Ma véridique histoire (éditions Mercure de France, coll. Le temps retrouvé, 2008, ISBN 978-2715228580).


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L’amiral Satan

Pierre André de Suffren de Saint-Tropez n’est pas un des ineffables gendarmes qui ont fait les choux gras d’un certain cinéma français. Né dans une famille noble provençale, Suffren monte les échelons tant dans la marine royale (jusqu’au grade de vice-amiral) que dans l’ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem (il en deviendra le bailli).


Le duc de Choiseul, dans les années 1760, entreprend, entre autres tâches, la modernisation de la marine royale, dont il pressent qu’elle peut être un atout pour prendre, un jour, une revanche sur l’Angleterre, après la désastreuse défaite française dans la guerre de Sept Ans.
Suffren, lui, sert en Méditerranée, notamment contre les pirates et corsaires de Salé, ou, en congé de la marine française, sur les galères de Malte. Puis vient le temps de la guerre américaine, sous les ordres de l’amiral d’Estaing, sans résultat vraiment décisif.

C’est l’année 1781 qui marque le tournant pour Suffren, qui se voit confier le commandement d’une division de 6 vaisseaux. Oh, alors que la guerre d’indépendance américaine bat son plein, la mission de Suffren peut sembler anecdotique, puisqu’elle doit le mener bien loin du terrain d’opération majeur : appareillant de Brest en avril 1781, il doit aller écarter la menace de la Royal Navy de la colonie hollandaise du Cap, au sud de l’Afrique, avant de se rendre dans l’océan Indien pour y jouer un rôle encore mal défini.
En route vers le Cap, Suffren surprend le 16 avril 1781, au mouillage à Porto Praya dans l’archipel du Cap-Vert, une flotte anglaise de navires marchands accompagnés de vaisseaux de guerre. Après une violente canonnade, il ne peut toutefois pas remporter une victoire décisive, et poursuit son chemin. Au Cap, la population hollandaise se révèle plus anglophile que francophile, mais Suffren arrive à éloigner les navires de l’amiral Johnstone, cette même escadre qu’il avait en partie étrillée à Porto Praya.


Après son arrivée à Madras, en février 1782, il prend son service sous les ordres de l’amiral Thomas d’Orves, qui a le bon goût de trépasser peu après, laissant donc le commandement en chef à Suffren. Celui-ci va, jusqu’à la fin de 1783, mener un jeu de chat et de souris avec les forces anglaises de l’amiral Edward Hugues. Leur « duel » verra des batailles tant navales que terrestres, certaines sanglantes, la plupart indécises, aucun des deux n’arrivant à anéantir son adversaire (Suffren étant, en cela, particulièrement desservi par des crises avec ses subordonnés).


L’Histoire retiendra pourtant que cette épopée du bailli de Suffren aux Indes a été l’un des moments les plus glorieux de la marine française de cette fin du temps des Lumières. Même les Anglais, pourtant avares de compliments sur les marins français de cette époque-là, voient en lui un grand amiral, qu’ils ont même surnommé « l’amiral Satan ».
Malgré la défaite en Amérique du Nord, le sous-continent indien restera aux mains des Anglais. Et Suffren, rentré en France, mourra quelques années plus tard, perclus d’obésité et de dettes.

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vendredi 30 décembre 2011

Du haut-bois à Uranus

Autant le dire d’emblée : avant de fureter ici et là à la recherche de sujets sur le thème « 1781 » pour relever mon propre défi dix-huitiémiste, je n’avais aucune idée de qui était William Herschel. N’étant pas passionné d’astronomie, je n’avais pas croisé sa route jusqu’à aujourd’hui. Et un article de Peter Millman, The Herschel Dynasty. Part I – William Herschel, dans le Journal of the Royal Astronomical Society of Canada, (Vol. 74, p. 134, 1980) m’a fait découvrir un personnage étonnant, passé, au fil de sa vie, du joueur de hautbois au sein du régiment des Hanoverian Foot Guards (régiment de gardes à pied de George, électeur de Hanovre et incidemment roi d’Angleterre) au brillant astronome président de la Royal Astronomical Society, en passant par le compositeur d’une musique aujourd’hui peu connue du grand public.


N’étant pas vraiment familier du monde de l’astronomie, j’ai un peu de mal à comprendre qu’une personne soit reconnue comme le « découvreur » d’un corps céleste alors que celui-ci a déjà été observé dans des temps précédents. Le mot « découvreur » a probablement un sens particulier dans cette confrérie-là ; peut-être le premier à l’avoir « bien » décrite dans ses caractéristiques, son orbite, etc ?
Toujours est-il que William Herschel a « découvert » la planète Uranus en mars 1781. Ce corps céleste avait déjà été observé par d’autres astronomes, mais ceux-ci s’étaient fourvoyés sur sa nature, comme John Flamsteed qui, en 1690, l’avait prise pour une étoile de la constellation du Taureau.
Et même si Pierre Charles Le Monnier l’a observée à plusieurs reprises entre 1750 et 1769, W. Herschel en est le découvreur officiel. Uranus, qu’il avait proposé de baptiser Georgium Sidus (l’étoile de George), lui valu donc d’être récompensé, en novembre 1781, de la médaille Copley, une des plus prestigieuses et des plus anciennes récompenses remises par la Royal Society de Londres, et de venir membre de cette Society le mois suivant. Et la configuration de notre système solaire passait alors de 6 planètes à 7, un changement majeure pour l’époque : toute une conception du cosmos était à revoir !


Peut-être me faudra-t-il donc demander à quelque astronome amateur de me faire regarder Uranus dans un télescope, tout en écoutant une symphonie de Herschel (il en a composé pas moins de 24 !).


Peut-être mon esprit s’ouvrira-t-il alors à cette cosmologie musicale ? Je doute d’en arriver à tomber dans la « théologie naturelle » dont Herschel et d’autres savants et musiciens, comme Haydn, étaient les chantres. Mais ciel et musique peuvent nous ouvrir à une spiritualité et une métaphysique non religieuses, alors pourquoi s’en priver ?

Comme un petit goût de revanche ?

La rivalité de longue date des Français avec leurs voisins d’outre-Manche leur fait souvent apprécier les occasions où les Anglais se font secouer. Alors, ils applaudissent aussi bien la bataille de Patay qu’un grand chelem en ovalie dont le dernier match fait manger la pelouse de Twickenham. C’est ainsi que le siège de Yorktown, en septembre et octobre 1781, prend parfois un p’tit goût de revanche. Ah, Messieurs les Anglais, vous nous aviez pris la Nouvelle-France en 1763 ? Souffrez donc que nous vous boutions, à notre tour, hors de vos colonies d’Amérique du Nord !

La Virginie avait été, dès le début de la guerre d’indépendance américaine, le théâtre de mouvements de troupes, de raids. Aux yeux de la couronne anglaise, ce territoire, avec ses terres fertiles, ses voies d’eau navigables, son tabac échangé en Europe contre des armes et des vêtements, ses élevages de chevaux, et même son éloignement des principaux théâtres d’opération de ce conflit, en faisaient une base vitale pour l’effort de guerre américain.

Les Anglais s’étaient félicités de la prise de Charleston, dont le siège s’était déroulé de mars à mai 1780. Le général Sir Henry Clinton, commandant en chef des troupes anglaises en Amérique du Nord depuis mai 1778, était porté par l’idée que la pacification de cette Amérique du Nord pouvait se baser sur l’établissement d’une chaîne de positions fortifiées autour de bases navales côtières, à partir desquelles des raids pourraient être menés jusqu’au cœur du territoire insurgé. Son subordonné, Charles Cornwallis, ne partage pas du tout la vision stratégique de Clinton, et préfère envisager des troupes mobiles plutôt que ces bases d’appui. Une telle stratégie avait une limite : elle ne pouvait tenir sur la durée que pour autant que l’Angleterre conserverait la suprématie sur les mers. Au regard des succès de la Royal Navy à cette époque-là, présupposer que cette suprématie allait de soi n’était pas tout à fait un péché d’orgueil de la part de Clinton…
Mais c’est la stratégie de Clinton qui l’emporte lorsqu’une base navale est créée à Yorktown, sur la baie de Chesapeake. De là, Clinton veut menacer les colonies centrales, et même frapper Philadelphie avec l’aide de l’armée qui descendrait de New York.





Mais la campagne de Virginie, en 1781, oblige Cornwallis à se réfugier dans Yorktown, pour offrir à ses troupes (environ 8,000 hommes) un abri, du repos, des vivres, et un répit contre la malaria. Assiégés par des troupes américaines sous le commandement de George Washington (environ 9.000 hommes) et des troupes françaises du comte de Rochambeau (environ 9.000 hommes aussi), et coupés de toute aide par voie maritime par l’escadre du comte de Grasse (avec notamment 28 vaisseaux de ligne), Yorktown et les 8.000 hommes de Cornwallis résisteront trois semaines avant de se rendre.


Même si la guerre d’indépendance devait durer encore jusqu’en 1783, la chute de Yorktown était le coup qui allait entraîner, pour l’Angleterre, la perte de ses colonies d’Amérique.


Alors, pensez donc, une telle victoire contre les Anglais, grâce à des troupes françaises et après qu’une escadre française avait tenu en échec la Royal Navy, ça vaut bien un petit billet, non ?

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Pour plus de détail sur ce siège, les lecteurs curieux se reporteront par exemple au livre Yorktown (1781). - La France offre l'indépendance à l'Amérique, de Raymond Bourgerie et Pierre Lesouef
(éditions Economica, collection Campagnes & stratégies, 1992, ISBN 978 2717822816).


Les lecteurs anglophones qui apprécient les synthèses bien illustrées se reporteront à l’ouvrage Yorktown 1781. The World Turned Upside Down, de Brendan Morrissey (texte) et Adam Hook (illustrations) (éditions Osprey, série Campaign, n°47,  1997, ISBN 978 1855326880).

Il l'a fait !



Félicitation à Thomas B., qui a relevé le Défi XVIIIe en 2011 (contrairement à l'hôte du Défi...) !

Thomas B. a relevé le Défi XVIIIe avec les billets suivants :


Ne manquez pas, par ailleurs, d'aller visiter son nouveau blog, qui regroupe ses différentes passions.



Lettres Persanes

 

Les Lettres Persanes fait partie de ces livres phares des programmes scolaires parce que «Montesquieu c’est important». C’est annonciateur de L’Esprit des Lois, fondation-de-notre-république-moderne tout ça. L’Esprit des Lois étant le livre de chevet de vrais modèles de probité politique comme Alain Juppé, ça en dit long sur la puissance de la plume.
Comme son nom l’indique, les Lettres Persanes est un roman épistolaire, on suit donc Usbek et Rica, deux Persans en goguette à travers l’Europe (surtout Paris et Venise), qui écrivent pour disserter sur les différences entre les sociétés, les religions, se donner des nouvelles et gérer leur harem à distance.
Comme vous avez du l’entendre en cours de français, Montesquieu utilise le masque d’une Perse de pacotille (c’est un bon gros mashup avec la Turquie quand même) pour de se moquer de la France de l’époque. En celà j’étais un peu dépaysé car on parle bien de la Régence, avec notamment beaucoup de références au système de Law, et peu de mon pote Louis XV. En utilisant le masque de l’Islam, Montesquieu critique les religions, et tout le monde en prend pour son grade. J’ai bien conscience que vu la censure de l’époque c’est déjà pas mal, mais entre Molière pour le plus connu et l’abbé Meslier pour le plus underground, honnêtement ce n’est pas la première fois qu’on satirisait du cureton et je suis un peu resté sur ma faim.
D’un point de vue strictement «technique du roman», on est loin de la virtuosité des Liaisons dangereuses de Laclos. Globalement j’ai trouvé ces Lettres plutôt longuettes, entre grosses digressions sur des fables pas très fines et interrogations philosophiques qui sentent un peu le réchauffé pour l’homme du XXIe siècle. La fin du roman est autrement plus captivante car le rythme s’accélère avec des missives plus courtes, plus nerveuses, plus violentes. Les problèmes d’autorité pour maintenir l’ordre au harem empirent et s’achèvent sur une véritable apocalypse domestique. Ici pas de descriptions crues dont se serait réjouit un Sade, mais une sobriété qui permet quand même au lecteur moderne d’imaginer un bain de sang tarantino-hongkongesque entre eunuques sabres au clair et mort de courtisanes à la chaîne.
Ce qui m’a le plus touché est le côté Les Caractères de La Bruyère: l’analyse lucide des travers du genre humain, des comportements de toutes catégories de personnes, que ce soit les vieux, les femmes ou les bavards. C’est à la fois une exemple fascinant pour analyser des sociétés passées mais aussi voir les constantes, les portraits toujours valables à notre époque.
Ce billet clôt ma participation aux Défi XVIIIe, qui consistait à rédiger 5 articles ayant pour thème le XVIIIe siècle avant la fin 2011. Vous avez eu droit à des travestis japonais virtuoses de la guitare électrique, deux mini-séries anglaises, du GN international et ce bon gros classique bien de chez nous. Le prochain défi sera 100% littéraire, mais que les allergiques aux chemises à jabots se rassurent, on fera dans le contemporain plus accessible. En attendant de rencontrer ces nouveaux maîtres, je vous quitte donc avec l’homme d’esprit.
Lettre 145
Usbek à***.
Un homme d’esprit est ordinairement difficile dans les sociétés; il choisit peu de personnes; il s’ennuie avec tout ce grand nombre de gens qu’il lui plaît appeler mauvaise compagnie; il est impossible qu’il ne fasse un peu sentir son dégoût: autant d’ennemis. Sûr de plaire quand il voudra, il néglige très souvent de le faire.
Il est porté à la critique, parce qu’il voit plus de choses qu’un autre et les sent mieux. Il ruine presque toujours sa fortune, parce que son esprit lui fournit pour cela un plus grande nombre de moyens. Il échoue dans ses entreprises, parce qu’il hasarde beaucoup. Sa vue, qui se porte toujours loin, lui fait voir des objets qui sont à de trop grandes distances. Sans compter que, dans la naissance d’un projet, il est moins frappé des difficultés, qui viennent de la chose, que des remèdes qui sont de lui, et qu’il tire de son propre fonds. Il néglige les menus détails, dont dépend cependant la réussite de presque toutes les grandes affaires.
L’homme médiocre, au contraire, cherche à tirer parti de tout: il sent bien qu’il n’a rien à perdre en négligences. L’approbation universelle est plus ordinairement pour l’homme médiocre. On est charmé de donner à celui-ci, on est enchanté d’ôter à celui-là. Pendant que l’envie fond sur l’un, et qu’on ne lui pardonne rien, on supplée tout en faveur de l’autre: la vanité se déclare pour lui.

Le GN XVIIIe où on ne l’attend pas

Comme expliqué en d’autres lieux, les jeux de rôle grandeur nature (GN) ayant pour cadre le XVIIIe siècle sont rares. Pourtant, par dessein ou hasard, les accros à la poudre de perruque ou de mousquet peuvent tout à fait trouver leur méthadone dans l’offre GNistique actuelle.

Jack c’pourrave
Sans doute liée au succès des films Pirates des Caraïbes, la présence du pirate en GN ces dernières années ne s’est pas faite sans quelques bavures. Le problème se pose surtout pour les GN médiévaux-fantastiques: le pirate XVIIIe standard fait souvent tache dans un univers qui ne dépasse par la Renaissance en terme de niveau technologique. Ces jeux incluant souvent de la magie ou des êtres fantastiques, on parle bien de look et d’ambiance ici, pas de réalisme, mais l’épisode de la web-série parodique GN de merde ci-dessous décrit bien le problème (à 3:03).

Les pirates sont également présents au plus grand GN du monde, Conquest of Mythodea mais ils sont intégrés dans l’univers de jeu «médiéval fantastique et plus si affinités» au look très hollywoodien. Ils y sont sobrement appelés «Marins» et bénéficient d’un campement spécifique, associé à la ville. Dans les côtés positifs, cela donne un faux bateau très sympa,





de nombreuses jeunes filles en corset

et des compagnons de taverne tout droit sortis d’un film d’aventure.
Les revers de la médaille incluent des chants battus et rebattus, et des clones cosplay de Jack Sparrow, fort justement surnommés “Jack c’pourrave” par les membres du Club Misanthropie.

Et à part les pirates?
La liberté de look intrinsèque à Mythodea permet aux fans du XVIIIe allergiques aux pirates d’essayer leurs costumes préférés et tenter des expériences de jeu différentes. Ainsi la joueuse ci-dessous a organisé une petite tea party en plein milieu d’un carrefour de la ville.
L’année précédente, mon personnage de nobliau reconverti dans le mercenariat portait deux costumes d’inspiration XVIIIe, un de jour pour les batailles (cuir et armes multiples) et un de nuit, pour des activités plus détendues,



 dont des tentatives d’hommage à Barry Lyndon à l’appareil photo numérique.
Plus près de nous, le GN Pour une poignée de salopards II, dont j’ai parlé précédemment, englobait plus franchement le XVIIIe dans son époque historique fictive.
Des gardes en armure de plaque aux truands en chapeau melon, le mélange était un grand écart, mais globalement fonctionnait plutôt bien. J’ai ouï dire que le prochain se démédiévaliserait pour se concentrer sur l’interface XVIIIe-XIXe.

Les XVIIIe où on ne l’attend pas
Ce “XVIIIe comme passé plutôt que comme futur d’un univers” a joué à fond lors de L’exposition extraordinare d’Aven, le premier GN steampunk de Suisse romande. Une des originalités de ce jeu a été d’inclure plusieurs nations fictives aux looks historiques marqués mais non limités aux traditionnels haut-de-formes & crinolines. Cela permettait non seulement de typer rapidement les factions, mais donnait plus de flexibilité aux joueurs pour se costumer et m’a permi d’explorer le concept de tricorne steampunk. Plus de détails sur ce jeu et mes bricolages plus tard.
Dans un genre complètement différent, le huis clos expérimental Light in world mettait en scène des personnages de contes de fées dans notre monde actuel. En bon monomaniaque, j’ai décidé de ressortir le costume porté au Liaisons Dangereuses car il se prêtait bien à une interprétation très «Walt Disney» de la Bête. Comme quoi on peut rentabiliser un costume acheté il y a six ans tout en respectant le thème du jeu et son personnage.

Mais le record de surprise XVIIIe restera le sens de l’initiative de Marco et Shiva, deux joueurs du GN Shadowrun organisé par Le Four Fantastique en 2008. Comme tout bon univers cyberpunk, celui-ci de Shadowrun est futuriste, sombre et technologique. Même si la présence d’elfes, nains etc entraîne quelques excentricités, j’avais écrit leurs personnages sans y mettre une once de tricorne. Mais les personnage jouant des nobles elfes, ils semblerait que la noblesse ait instantanément évoqué le siècle de Louis XV. Marco avait quelques scrupules à sortir la chemise à jabot mais je l’ai rassuré en lui envoyant une illustration officielle du jeu confirmant qu’il pouvait se lâcher niveau textile.
Le mélange flingues infra-rouges, oreilles pointues et clins d’œil XVIIIe était détonnant, un des beaux cadeaux que des joueurs m’aient offert. Lausanne, 2068: la force du siècle des Lumières dans la Suisse des Ombres!

Casarocka

Note: this post is part of the Défi XVIIIe, a blogging challenge to write 5 posts about 18th-century related topics within a year. It said nothing about the language the posts had to be in, so there!

Pour les francophones: tous les articles dont le sujet est en anglais seront dorénavant écrits dans cette langue.

 

Casanova is a BBC mini-series from 2005, starring Peter O’Toole and David Tennant, better known to geeks around the world as the Tenth Doctor. Rather than an historically accurate rendition of Histoire de ma vie (which is already laden with lies anyway), these three episodes are a very free, very rock ‘n’ roll adaptation trying to convey the flamboyant spirit of the character. If you already know Giacomo Casanova’s life, surprises will obviously be limited, and from the escape from the Leads of Venice to Damiens’ atrocious execution, the plot is a crazy remix of the famous traveler’s “greatest hits”.
Costume are sometimes a bit of an eyesore, especially in the first episode, and more reminiscent of 1960s French swashbuckling movies than of other modern takes on the Enlightenment such as Plunkett & McLeane or Brotherhood of the Wolf. The BBC obviously couldn’t afford too many extras, but did land some pretty awesome locations. It’s always a pleasure to see Dubrovnik on the screen, especially when it is smartly reused like this.
Overall, from the score to dance moves to general acting style, I really enjoyed the blatantly anachronistic choices, culminating in a dressing scene in the opening credits straight out of Saint Seya.


However, the series tone is not fully humorous and does get more somber towards the end, as the love story with Henriette gets more heart-wrenching and friends are lost. Peter O’Toole moves from bantering old man to lover in pain and David Tennant shows he can switch from overactive social butterfly to dead serious expert on mid-life crisis. My favorite scenes in this phase notably include the following lines:
Giacomo Casanova: Men I understand. I know what men think about, all day long. Those stupid little inches, driving you mad every waking hour. I know exactly what’s going on in your head. Is it big? Is it big enough? Is it hard enough, will it work every time on demand; cause that’s the only thing, that is the only bastard question – am I any good in bed? Is every other man better than me? Is every other man bigger and faster and slower and longer and deeper and harder – what am I doing wrong? How do I find out, cause no one ever talks about it, no one ever says. How can I ever find out what I’m doing wrong?
The combination of mood swings and anachronisms did make me reach a point of overdose in the Naples scene. While I found the references to both the Sadean and fascist components of Salò, or the 120 Days of Sodom interesting, I must admit that the visual kei -inspired looks where a tad too much for me at this point.  On a similar note, BBC’s Casanova must have been one more thing that inspired the horrid Mozart, l’opéra rock (for more on this topic check out my previous post).
So all in all, a very entertaining mini-series, not for the historically faint of heart but rather one more proof that raping history can produce beautiful offspring.

mercredi 21 septembre 2011

Les condés des Lumières - Part 1: Police and Thieves

J’ouvre ce premier article sur le traitement cinématographique* des pandores au XVIIIe par un titre en hommage à Junior Murvin, le Farinelli du reggae**. Quoi de mieux en effet qu’un morceau critiquant la violence des criminels et des forces de l’ordre pour évoquer City of Vice, une mini-série anglaise riche en pistolets, perruques poudrées, petites pépées et policiers.




Dès qu’il s’agit de rosser les cognes, tout le monde se réconcilie
Ces 5 épisodes narrent la manière dont les magistrats Henry et John Fielding (le premier auteur de Tom Jones) crééent les Bow Street Runners, une proto police londonnienne en 1749. Sans doute pour ne pas trop perdre un chaland habitué au format des séries américaines contemporaines, on tente ici aussi de résoudre une affaire par épisode, avec enquête, poursuite, interrogatoire et résolution avant le générique. Mais le propos va plus loin. L’opposition -parfois musclée- à l’initiative des Fielding ne vient pas seulement des malfaiteurs (maquereaux pédophiles, gangs de braqueurs tortionnaires etc) mais aussi d’éminents membres de la chambre des Lords, qui hurlent au gaspillage d’argent public et à l’atteinte aux libertés individuelles. Et ce côté “on essuie les plâtres” est une des grandes forces de la série. Les Bow Street Runners n’arrivent pas en terrain conquis, s’interrogent sur la meilleure d’aborder une scène de crime, peinent à obtenir des informations... et donc vont parfois jusqu’à la torture. Certains y verront un attachement à la réalité historique, d’autres une opération séduction envers un jeune public plus élevé à 24 ou The Shield qu’à Navarro. Une chose est sûre: dans City of Vice, pas de chevaliers blancs mais de nombreuses nuances de gris sale.

Channel 4 n’a pas d'argent, mais elle a des idées
La série n’est pas exempte de défauts, le principal étant un budget manifestement limité. Mais là où la production française des aventures de Nicolas Le Floch (on en reparlera) tente à tout prix de “faire riche”, City of Vice compense son manque de moyens en redoublant de créativité. Impossible de se payer des plans larges en image de synthèse détaillant le Londres du XVIIIe? Soit, la caméra se déplace donc sur un plan historique de la ville, en noir et blanc, qui passe en 3D quand on plonge au niveau de la rue. Le plan-relief numérique, il fallait y penser! Pas d’argent pour louer ou reconstituer un salon d’époque? Soit, les intérieurs seront peu éclairés et filmés en plan rapproché, accentuant le côté sombre et étouffant des scènes de violence.
Tout n’est pas que noirceur, l’humour est présent et les acteurs ont parfois tendance à cabotiner, comme Ian Mc Darmid (le sénateur Palpatine pour les fans de Star Wars) en chef vieillissant, sûr de son bon droit et légèrement porté sur la bouteille. Le traitement des personnages secondaires est un peu léger et tous les membres de l'équipe auraient bénéficié de plus de développement dans des épisodes supplémentaires, afin de ne pas les limiter à leur roles de -très efficaces- “gueules” ou de clichés.

Je ne sais pas si l’audience a été au rendez-vous en 2008, et City of Vice n’est plus édité, mais ce DVD en VO non sous-titrée est toujours disponible en import sur Amazon. Si comme moi vous aimez les histoires de flics en tricornes qui ne lorgnent pas du côté de Fanfan la Tulipe, cédez à la tentation.



* oui plutôt télévisuel, mais je n’allais pas me priver d’une référence de plus dans le titre
** oui, c’était du falsetto, pas un castrat. Et oui, vous connaissez sans doute une version des Clash. Qui n’est pas mauvaise d’ailleurs, mais bon, un peu de licence bloggesque, que diable!